Décision n° 2024-866 DC du 17 mai 2024

Décision n° 2024-866 DC du 17 mai 2024

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, sous le n° 2024-866 DC, le 17 avril 2024, par Mme Marine LE PEN, M. Franck ALLISIO, Mme Bénédicte AUZANOT, MM. Philippe BALLARD, Christophe BARTHÈS, José BEAURAIN, Christophe BENTZ, Mmes Sophie BLANC, Pascale BORDES, MM. Jorys BOVET, Jérôme BUISSON, Frédéric CABROLIER, Victor CATTEAU, Sébastien CHENU, Roger CHUDEAU, Mmes Caroline COLOMBIER, Annick COUSIN, Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, MM. Grégoire de FOURNAS, Hervé de LÉPINAU, Jocelyn DESSIGNY, Mmes Edwige DIAZ, Sandrine DOGOR-SUCH, M. Nicolas DRAGON, Mme Christine ENGRAND, MM. Frédéric FALCON, Thibaut FRANÇOIS, Mme Stéphanie GALZY, MM. Frank GILETTI, Yoann GILLET, Christian GIRARD, José GONZALEZ, Mmes Florence GOULET, Géraldine GRANGIER, MM. Daniel GRENON, Michel GUINIOT, Jordan GUITTON, Mme Marine HAMELET, MM. Timothée HOUSSIN, Laurent JACOBELLI, Mme Catherine JAOUEN, M. Alexis JOLLY, Mmes Hélène LAPORTE, Laure LAVALETTE, Julie LECHANTEUX, Gisèle LELOUIS, Christine LOIR, M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI, Mme Marie-France LORHO, MM. Philippe LOTTIAUX, Alexandre LOUBET, Matthieu MARCHIO, Mme Alexandra MASSON, MM. Bryan MASSON, Kévin MAUVIEUX, Nicolas MEIZONNET, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, MM. Thomas MÉNAGÉ, Serge MULLER, Mmes Mathilde PARIS, Caroline PARMENTIER, M. Kévin PFEFFER, Mme Lisette POLLET, M. Stéphane RAMBAUD, Mme Angélique RANC, M. Julien RANCOULE, Mmes Laurence ROBERT-DEHAULT, Béatrice ROULLAUD, Anaïs SABATINI, MM. Alexandre SABATOU, Emeric SALMON, Philippe SCHRECK, Emmanuel TACHÉ de la PAGERIE, Jean-Philippe TANGUY, Michaël TAVERNE et Antoine VILLEDIEU, députés.

Il a également été saisi le 19 avril 2024, par Mmes Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, MM. Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Mmes Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, MM. Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, MM. Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Mmes Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ÉTIENNE, M. Emmanuel FERNANDES, Mmes Sylvie FERRER, Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mmes Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mmes Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, MM. Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Arnaud LE GALL, Antoine LÉAUMENT, Mmes Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mmes Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, MM. William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Mmes Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mmes Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, MM. René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Jean-Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Mmes Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH-TERRENOIR, Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, MM. Paul VANNIER, Léo WALTER, Mmes Cyrielle CHATELAIN, Christine ARRIGHI, Lisa BELLUCO, MM. Karim BEN CHEIKH, Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, MM. Benjamin LUCAS-LUNDY, Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mmes Sandra REGOL, Sandrine ROUSSEAU, Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, M. Aurélien TACHÉ, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN et M. Nicolas THIERRY, députés.

Au vu des textes suivants :

la Constitution ;

l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) ;

le code de justice administrative ;

le code pénal ;

le code des postes et des communications électroniques ;

le code des relations entre le public et l’administration ;

le code de la sécurité intérieure ;

la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ;

la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ;

la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique ;

le règlement du 11 mars 2022 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution ;

Au vu des pièces suivantes :

les observations produites par la présidente de la commission spéciale du Sénat chargée d’examiner le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique et M. Loïc HERVÉ, sénateur, enregistrées le 23 avril 2024 ;

les observations produites par M. Boris VALLAUD et plusieurs députés autres que les auteurs des saisines, enregistrées le 24 avril 2024 ;

les observations du Gouvernement, enregistrées le 13 mai 2024 ;

Après avoir entendu les députés représentant les auteurs de la seconde saisine ;

Et après avoir entendu les rapporteurs ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique. Ils contestent la conformité à la Constitution de son article 19. Les députés auteurs de la première saisine critiquent également la procédure d’adoption de cet article. Les députés auteurs de la seconde saisine critiquent en outre la procédure d’adoption de l’article 1er et la conformité à la Constitution de l’article 17 ainsi que de certaines dispositions des articles 1er, 2, 4, 5, 10, 23, 40, 41 et 42.

– Sur certaines dispositions de l’article 1er :

2. Le paragraphe I de l’article 1er de la loi déférée réécrit l’article 10 de la loi du 21 juin 2004 mentionnée ci-dessus afin de prévoir notamment que, pour garantir que les contenus pornographiques mis en ligne ne soient pas accessibles aux mineurs, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, d’une part, établit un référentiel relatif aux systèmes de vérification de l’âge devant être mis en œuvre par les éditeurs de service de communication au public en ligne et les fournisseurs de service de plateforme de partage de vidéos et, d’autre part, peut exiger de ceux-ci qu’ils fassent réaliser des audits de ces systèmes pour s’assurer de leur conformité à ce référentiel.

3. Les députés auteurs de la seconde saisine soutiennent que, en renvoyant à une autorité administrative le soin d’établir ce référentiel, sans préciser les modalités selon lesquelles l’âge des utilisateurs sera vérifié, et en lui permettant d’exiger la conduite d’audits, sans garantir l’indépendance des organismes qui en seront chargés ni fixer les conditions de leur réalisation, le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence et privé de garanties légales le droit au respect de la vie privée.

4. Ils font valoir en outre que le Gouvernement aurait induit en erreur les parlementaires sur la fiabilité et l’applicabilité de certaines méthodes d’anonymisation des systèmes de vérification d’âge. Il en résulterait, selon eux, une méconnaissance des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

5. En premier lieu, aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale ». Aux termes du premier alinéa de l’article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ». Ces dispositions imposent le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

6. La circonstance que certains ministres aient pu présenter, lors de leurs interventions à l’Assemblée nationale, la méthode de double anonymisation comme fiable et prête à être mise en œuvre alors que d’autres méthodes pourraient trouver à s’appliquer aux systèmes de vérification de l’âge est sans incidence sur la procédure d’adoption de l’article 1er dès lors que ces différentes méthodes ont pu être débattues.

7. Dès lors, le grief tiré de l’irrégularité de la procédure d’adoption des dispositions contestées doit être écarté.

8. En deuxième lieu, l’article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant … les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».

9. En vertu de l’article 21 de la Constitution et sous réserve de son article 13, le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire à l’échelon national. Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité de l’État autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en œuvre une loi dès lors que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu. Une telle attribution de compétence n’a pas pour effet de dispenser l’autorité réglementaire du respect des exigences constitutionnelles.

10. Selon le paragraphe I de l’article 10 de la loi du 21 juin 2004, dans sa rédaction résultant de l’article 1er de la loi déférée, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique veille à ce que les contenus pornographiques mis à la disposition du public par un éditeur de service de communication au public en ligne ou fournis par un service de plateforme de partage de vidéos ne soient pas accessibles aux mineurs.

11. Les dispositions contestées prévoient que, à cette fin, cette autorité établit et publie un référentiel relatif aux systèmes de vérification de l’âge devant être mis en œuvre par certains éditeurs et fournisseurs de services en ligne et qu’elle peut exiger de ceux-ci la conduite d’un audit de ces systèmes.

12. D’une part, ces dispositions ont pour seul objet de confier à cette autorité le soin d’établir un référentiel fixant les exigences techniques minimales applicables aux systèmes de vérification de l’âge que doivent mettre en œuvre les éditeurs et fournisseurs de services en ligne pour empêcher les mineurs d’accéder à des contenus pornographiques et prévoyant les conditions de réalisation et de publicité des audits qu’elle peut imposer. Elles ont ainsi un objet et un champ d’application précisément circonscrits.

13. D’autre part, le législateur a pu, sans méconnaître sa compétence, confier à une autorité administrative le soin d’établir un référentiel déterminant des exigences techniques portant sur la fiabilité du contrôle de l’âge des utilisateurs et sur le respect de leur vie privée, et précisant les modalités de réalisation et de publicité des audits.

14. Dès lors, les dispositions contestées ne méconnaissent ni l’article 21 de la Constitution ni son article 34.

15. Par conséquent, le deuxième alinéa du paragraphe I de l’article 10 de la loi du 21 juin 2004, qui ne méconnaît pas non plus le droit au respect de la vie privée ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.

– Sur certaines dispositions de l’article 2 :

16. Le paragraphe I de l’article 2 insère notamment au sein de la loi du 21 juin 2004 un article 10-1 afin de prévoir en particulier que, lorsqu’un service de communication au public en ligne ou un service de plateforme de partage de vidéos permet à des mineurs d’avoir accès à des contenus pornographiques, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut, sous certaines conditions, prononcer des mesures de blocage ou de déréférencement.

17. Les députés auteurs de la seconde saisine reprochent à ces dispositions de permettre à cette autorité de prononcer de telles mesures pour une durée excessive, alors que les contenus en cause ne présenteraient en eux-mêmes aucun caractère illicite. Ils dénoncent en outre la brièveté du délai dans lequel est enserré le recours spécifique en annulation contre cette décision. Il en résulterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication. Pour les mêmes motifs, ces dispositions méconnaîtraient également le droit à un procès équitable et le principe de légalité des délits et des peines.

18. Aux termes de l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». En l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services et de s’y exprimer.

19. L’article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant … les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Sur ce fondement, il est loisible au législateur d’édicter des règles concernant l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d’écrire et d’imprimer. Il lui est aussi loisible, à ce titre, d’instituer des dispositions destinées à faire cesser des abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers. Cependant, la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s’ensuit que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.

20. Selon le paragraphe I de l’article 10-1 de la loi du 21 juin 2004, dans sa rédaction issue de l’article 2 de la loi déférée, lorsqu’une personne dont l’activité est de fournir un service de communication au public en ligne ou un service de plateforme de partage de vidéos permet à des mineurs d’avoir accès à un contenu pornographique en violation de l’article 227-24 du code pénal, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut la mettre en demeure de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès à ce contenu.

21. En cas d’inexécution de la mise en demeure, le paragraphe III de l’article 10-1 permet à cette autorité de demander aux fournisseurs de services d’accès à internet ou aux fournisseurs de systèmes de résolution des noms de domaine d’empêcher l’accès aux adresses électroniques litigieuses, dans un délai de quarante-huit heures, ainsi qu’aux moteurs de recherche ou aux annuaires de faire cesser, dans le même délai, le référencement des services concernés.

22. Les dispositions contestées prévoient que ces mesures peuvent être prononcées pour une durée maximale de deux ans et que les personnes intéressées peuvent en demander l’annulation au président du tribunal administratif dans un délai de cinq jours à compter de leur réception.

23. En premier lieu, en permettant à l’autorité administrative d’ordonner des mesures de blocage et de déréférencement, le législateur a souhaité renforcer la lutte contre l’accès des mineurs à des contenus à caractère pornographique en ligne. Il a ainsi entendu mettre en œuvre l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public.

24. En deuxième lieu, si ces mesures peuvent être prononcées pour une durée maximale de deux ans, elles ne s’appliquent qu’à des sites internet permettant à des mineurs d’avoir accès à un contenu pornographique en violation de l’article 227-24 du code pénal, qui incrimine le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser un message à caractère pornographique, soit de faire commerce d’un tel message, lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. En outre, l’autorité administrative compétente ne peut ordonner de telles mesures qu’après avoir adressé à la personne exploitant le ou les sites litigieux des observations motivées, à compter desquelles celle-ci dispose d’un délai de quinze jours pour présenter ses propres observations, puis une mise en demeure, restée infructueuse, de prendre, dans un délai de quinze jours, toute mesure de nature à empêcher cet accès.

25. Par ailleurs, il résulte des dispositions contestées que la nécessité de ces mesures doit être réévaluée lorsque la personne intéressée en fait la demande et, y compris d’office, au moins une fois par an. L’autorité administrative compétente est tenue d’en donner mainlevée lorsque les faits en considération desquels ces mesures ont été ordonnées ne sont plus constitués.

26. Dès lors, la durée maximale des mesures de blocage et de déréférencement que peut prononcer l’autorité administrative n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur.

27. En dernier lieu, ces mesures, qui peuvent faire l’objet de recours en référé sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, sont également susceptibles, en application des dispositions contestées, d’être critiquées par la voie d’un recours spécifique en annulation qui doit être formé devant le président du tribunal administratif dans un délai de cinq jours. Celui-ci est alors tenu de statuer sur la légalité de la mesure de blocage ou de déréférencement dans un délai d’un mois. En cas d’appel, la juridiction d’appel est tenue de statuer dans un délai de trois mois.

28. Ainsi, ces dispositions permettent qu’il soit statué dans de brefs délais sur la légalité de ces mesures.

29. Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’expression et de communication doit être écarté.

30. Par ailleurs, les mesures de blocage et de déréférencement, qui visent à prévenir l’accès à des contenus pornographiques par des mineurs, ne constituent pas des sanctions ayant le caractère d’une punition, mais des mesures de police administrative. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines ne peut dès lors qu’être écarté.

31. Par conséquent, le dernier alinéa du paragraphe III de l’article 10-1 de la loi du 21 juin 2004 et le premier alinéa de son paragraphe V, qui ne méconnaissent pas non plus le droit à un procès équitable ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.

– Sur certaines dispositions de l’article 4 :

32. Le 4 ° de l’article 4 insère notamment un nouvel article 6-2-2 au sein de la loi du 21 juin 2004 afin de prévoir une voie de recours spécifique contre l’injonction administrative adressée à un éditeur d’un service de communication au public en ligne ou à un fournisseur de services d’hébergement de retirer un contenu à caractère pédopornographique.

33. Les députés auteurs de la seconde saisine dénoncent la brièveté du délai de recours ouvert aux fournisseurs de services d’hébergement ou de contenus pour contester une telle mesure ainsi que du délai imparti au juge pour statuer. Il en résulterait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ainsi que des droits de la défense et du droit à un procès équitable. Pour les mêmes motifs, le législateur aurait en outre privé de garanties légales la liberté d’expression et de communication.

34. Selon l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction et que doit être assuré le respect des droits de la défense.

35. En application des articles 6-1 et 6-2-1 de la loi du 21 juin 2004, l’autorité administrative peut enjoindre, sous peine de poursuites pénales, aux éditeurs d’un service de communication au public en ligne et aux fournisseurs de services d’hébergement de retirer une image ou une représentation de mineurs qui présente un caractère pornographique relevant de l’article 227-23 du code pénal.

36. Les dispositions contestées prévoient que, sans préjudice des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, l’injonction de retrait de contenus à caractère pédopornographique peut faire l’objet d’un recours en annulation devant le président du tribunal administratif dans un délai de quarante-huit heures. Il est statué sur la légalité de cette injonction dans un délai de soixante-douze heures à compter de la saisine du juge.

37. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu garantir qu’il soit rapidement statué sur la légalité des injonctions de retrait d’un contenu à caractère pédopornographique. Ce faisant, il a non seulement poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public mais aussi cherché à protéger la liberté d’expression et de communication.

38. En second lieu, d’une part, le délai de recours de quarante-huit heures court seulement à compter, s’agissant des fournisseurs de services d’hébergement, de la réception de l’injonction et, s’agissant des fournisseurs de contenus, du moment où ils sont informés par le fournisseur de services d’hébergement de l’exécution de cette mesure. À cet égard, le paragraphe III de l’article 6-2 de la loi du 21 juin 2004 prévoit que le fournisseur de contenus est, sauf exception, informé par le fournisseur de services d’hébergement des motifs de l’injonction de retrait, de la possibilité d’en solliciter une copie et de son droit de former un recours en annulation.

39. D’autre part, le délai de soixante-douze heures imparti au juge administratif, qui permet qu’il soit statué rapidement sur la légalité de l’injonction de retrait, ne fait pas obstacle à ce que les fournisseurs de services d’hébergement ou de contenus puissent pendant ce délai présenter tous éléments à l’appui de leur requête. Au surplus, en cas d’appel, la juridiction d’appel statue dans un délai d’un mois.

40. Ainsi, en prévoyant de tels délais de recours et de jugement, les dispositions contestées n’opèrent pas une conciliation déséquilibrée entre le droit à un recours juridictionnel effectif et les exigences constitutionnelles précitées. Elles ne méconnaissent pas non plus les droits de la défense. Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration de 1789 doit, dès lors, être écarté.

41. Par conséquent, les paragraphes I et II de l’article 6-2-2 de la loi du 21 juin 2004, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté d’expression et de communication ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.

– Sur certaines dispositions de l’article 5 :

42. Le paragraphe III de l’article 5 prévoit notamment une voie de recours spécifique contre l’injonction que l’autorité administrative peut, à titre expérimental, adresser à un éditeur d’un service de communication au public en ligne ou à un fournisseur de services d’hébergement pour exiger le retrait d’images de tortures ou d’actes de barbarie.

43. Les députés auteurs de la seconde saisine dénoncent la brièveté du délai de recours ouvert aux fournisseurs de services d’hébergement ou de contenus pour contester une telle mesure ainsi que du délai imparti au juge pour statuer. Il en résulterait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ainsi que des droits de la défense et du droit à un procès équitable. Pour les mêmes motifs, le législateur aurait en outre privé de garanties légales la liberté d’expression et de communication.

44. Ils reprochent par ailleurs à ces dispositions de ne pas avoir déterminé les dispositions applicables aux procédures et instances encore en cours au terme de l’expérimentation. Il en résulterait une méconnaissance de l’article 34 de la Constitution et de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ainsi qu’une atteinte à la liberté d’expression et aux droits de la défense.

45. L’article 5 de la loi déférée prévoit que, à titre expérimental et pour une durée de deux ans, l’autorité administrative peut enjoindre aux éditeurs d’un service de communication au public en ligne et aux fournisseurs de services d’hébergement de retirer les contenus qui contreviennent manifestement à l’article 222-1 du code pénal incriminant les tortures et les actes de barbarie.

46. Les dispositions contestées prévoient que, sans préjudice des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, l’injonction de retrait d’images de tortures ou d’actes de barbarie peut faire l’objet d’un recours en annulation devant le président du tribunal administratif dans un délai de quarante-huit heures. Il est statué sur la légalité de cette injonction dans un délai de soixante-douze heures à compter de la saisine du juge.

47. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu garantir qu’il soit rapidement statué sur la légalité des injonctions de retrait d’images de tortures ou d’actes de barbarie. Ce faisant, il a non seulement poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public mais aussi cherché à protéger la liberté d’expression et de communication.

48. En second lieu, d’une part, le délai de recours de quarante-huit heures court seulement à compter, s’agissant des fournisseurs de services d’hébergement, de la réception de l’injonction et, s’agissant des fournisseurs de contenus, du moment où ils sont informés par le fournisseur de services d’hébergement de l’exécution de cette mesure. À cet égard, le C du paragraphe II de l’article 5 prévoit que le fournisseur de contenus est, sauf exception, informé par le fournisseur de services d’hébergement des motifs de l’injonction de retrait, de la possibilité d’en solliciter une copie et de son droit de former un recours en annulation.

49. D’autre part, le délai de soixante-douze heures imparti au juge administratif, qui permet qu’il soit statué rapidement sur la légalité de l’injonction de retrait, ne fait pas obstacle à ce que les fournisseurs de services d’hébergement ou de contenus puissent pendant ce délai présenter tous éléments à l’appui de leur requête. Au surplus, en cas d’appel, la juridiction d’appel statue dans un délai d’un mois.

50. Ainsi, en prévoyant de tels délais de recours et de jugement, les dispositions contestées n’opèrent pas une conciliation déséquilibrée entre le droit à un recours juridictionnel effectif et les exigences constitutionnelles précitées. Elles ne méconnaissent pas non plus les droits de la défense. Le grief tiré de la méconnaissance des exigences précitées de l’article 16 de la Déclaration de 1789 doit, dès lors, être écarté.

51. Par ailleurs, il ne saurait être reproché au législateur de ne pas avoir déterminé les dispositions susceptibles de s’appliquer au terme de l’expérimentation, dans l’hypothèse où elle ne serait pas pérennisée, dès lors qu’en l’absence de dispositions contraires, les règles de droit commun seraient alors applicables.

52. Il résulte de ce qui précède que les dispositions du A et B du paragraphe III de l’article 5, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et qui ne méconnaissent pas non plus l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, ni le droit à un procès équitable, ni la liberté d’expression et de communication, ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.

– Sur l’article 10 :

53. L’article 10 prévoit un objectif de généralisation de l’identité numérique pour les Français et la remise d’un rapport au Parlement.

54. Les députés auteurs de la seconde saisine soutiennent que ces dispositions seraient dépourvues de portée normative et, par suite, contraires à l’article 6 de la Déclaration de 1789. En permettant, selon eux, de multiplier les vérifications d’identité sur internet, elles méconnaîtraient également le droit au respect de la vie privée.

55. Aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Il appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions qui sont introduites en méconnaissance de cette règle de procédure. Selon une jurisprudence constante, il s’assure dans ce cadre de l’existence d’un lien entre l’objet de l’amendement et celui de l’une au moins des dispositions du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie. Il ne déclare des dispositions contraires à l’article 45 de la Constitution que si un tel lien, même indirect, ne peut être identifié. Il apprécie l’existence de ce lien après avoir décrit le texte initial puis, pour chacune des dispositions déclarées inconstitutionnelles, les raisons pour lesquelles elle doit être regardée comme dépourvue de lien même indirect avec celui-ci. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles.

56. La loi déférée, qui comporte soixante-quatre articles répartis en huit titres, a pour origine un projet de loi déposé le 10 mai 2023 sur le bureau du Sénat, première assemblée saisie. Ce projet comportait trente-six articles répartis en huit titres.

57. Son titre Ier comprenait des dispositions visant à confier à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique la mission d’élaborer un référentiel pour les systèmes de vérification de l’âge en vue de l’accès à des contenus pornographiques, à renforcer les pouvoirs d’injonction et de sanction de cette autorité à l’égard des éditeurs de service de communication au public en ligne, des fournisseurs d’accès à internet et des moteurs de recherche en cas d’accès à de tels contenus par des mineurs et à sanctionner pénalement la méconnaissance d’une injonction de retrait de contenus pédopornographiques. Son titre II comportait des dispositions visant à étendre les compétences de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique pour la mise en œuvre des mesures restrictives européennes à l’égard de certains opérateurs, à instaurer, en cas de condamnation pour certaines infractions, une peine complémentaire de suspension du compte d’accès à une plateforme en ligne utilisé pour les commettre et à prévoir le déploiement d’un filtre national de cybersécurité à destination du grand public. Son titre III comprenait des dispositions visant à réguler certaines pratiques commerciales sur le marché des services d’informatique en nuage, à établir pour les fournisseurs de tels services l’obligation d’assurer les conditions de la portabilité et de l’interopérabilité de leurs services avec des services tiers, à renvoyer à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse le soin de préciser les règles et modalités de mise en œuvre des obligations faites à ces fournisseurs, à confier à cette autorité le rôle d’autorité compétente en matière de régulation des services d’intermédiation de données, à lui attribuer de nouveaux pouvoirs et à assurer l’articulation entre ses missions et celles relevant de la compétence de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Son titre IV habilitait le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures tendant à encadrer le développement des jeux à objets numériques monétisables. Son titre V comprenait des dispositions visant à renforcer les capacités de collecte des données des services de l’État et à généraliser un dispositif de centralisation des données de location de meublés de tourisme devant être transmises aux communes par les opérateurs de plateformes numériques. Son titre VI comportait des dispositions permettant au coordinateur pour les services numériques de bénéficier de l’assistance technique de certains services de l’État. Son titre VII comprenait des dispositions visant à créer une autorité de contrôle de certaines opérations de traitement au sein, respectivement, du Conseil d’État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. Son titre VIII comportait des dispositions prévoyant diverses mesures d’adaptation du droit national au nouveau cadre établi par les règlements européens sur les services et marchés numériques ainsi que sur la gouvernance des données.

58. L’article 10 de la loi déférée prévoit, d’une part, que l’État se fixe l’objectif que, au 1er janvier 2027, 100 % des Français puissent avoir accès à une identité numérique gratuite et, d’autre part, que, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les moyens d’y parvenir.

59. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles de l’article 6 du projet de loi initial qui prévoyaient le déploiement d’un filtre national de cybersécurité permettant d’alerter les internautes du risque de préjudice encouru en cas d’accès à un site internet manifestement conçu pour la commission de certaines infractions. Elles ne présentent pas non plus de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat.

60. Dès lors, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les griefs et sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires.

– Sur l’article 17 :

61. L’article 17 complète l’article 312-10 du code pénal afin d’aggraver les peines encourues en cas de chantage à caractère sexuel exercé par le biais d’un service de communication au public en ligne.

62. Les députés auteurs de la seconde saisine reprochent au législateur de ne pas avoir différencié les peines encourues pour la répression de ces faits de celles prévues par l’article 312-11 du code pénal lorsque l’auteur du chantage a mis sa menace à exécution. Il en résulterait une méconnaissance du principe de proportionnalité des peines.

63. L’article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». L’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue.

64. En application de l’article 312-10 du code pénal, le chantage est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

65. Les dispositions contestées prévoient que les peines encourues au titre de ce délit sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque le chantage est exercé par le biais d’un service de communication au public en ligne au moyen d’images ou de vidéos à caractère sexuel ou dans le but d’obtenir de telles images ou vidéos.

66. Au regard de la nature des comportements réprimés, le législateur n’a pas institué des peines manifestement disproportionnées. À cet égard, est indifférente la circonstance que les peines encourues en application des dispositions contestées soient identiques à celles prévues par l’article 312-11 du code pénal lorsque l’auteur du chantage a mis sa menace à exécution.

67. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit donc être écarté.

68. Par conséquent, les trois derniers alinéas de l’article 312-10 du code pénal, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.

– Sur l’article 19 :

69. L’article 19 insère au sein du code pénal les articles 222-33-1-2 et 222-33-1-3 en vue de réprimer le délit d’outrage en ligne et de prévoir l’application à ce délit de la procédure de l’amende forfaitaire.

70. Les députés auteurs de la première saisine font tout d’abord valoir que cet article aurait été introduit en première lecture selon une procédure contraire à l’article 45 de la Constitution. Ils soutiennent ensuite, rejoints par les députés auteurs de la seconde saisine, que le délit d’outrage en ligne qu’il crée porterait à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui ne serait pas nécessaire dans la mesure où les faits qu’il punit sont déjà susceptibles d’être réprimés en application de nombreuses qualifications pénales existantes. Selon eux, cette atteinte ne serait pas non plus adaptée ni proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur, dès lors, d’une part, que le champ d’application de ce délit ne serait pas suffisamment circonscrit et, d’autre part, que la nécessité d’apprécier l’infraction en considération du « ressenti » de la victime ferait naître une incertitude sur la licéité des comportements incriminés. Ils critiquent en outre l’imprécision de la circonstance aggravante du délit tenant à la commission des faits sur un mineur. Pour ces mêmes motifs, les députés requérants reprochent à ces dispositions de méconnaître également le principe de légalité des délits et des peines. Ils estiment enfin qu’en permettant d’appliquer la procédure de l’amende forfaitaire au délit d’outrage en ligne, alors que les éléments constitutifs de ce délit ne peuvent être aisément constatés, ces dispositions méconnaîtraient le principe d’égalité devant la justice.

71. Aux termes de l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». En l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services et de s’y exprimer.

72. L’article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant … les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Sur ce fondement, il est loisible au législateur d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers. Cependant, la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s’ensuit que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.

73. L’article 222-33-1-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de l’article 19 de la loi déférée, punit d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende le fait de diffuser en ligne tout contenu qui soit porte atteinte à la dignité d’une personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

74. Il résulte des travaux préparatoires que, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu lutter contre des faits susceptibles de constituer des abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers.

75. Toutefois, en premier lieu, la législation comprend déjà plusieurs infractions pénales permettant de réprimer des faits susceptibles de constituer de tels abus, y compris lorsqu’ils sont commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne.

76. En particulier, l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 mentionnée ci-dessus réprime la diffamation, définie comme toute allégation ou imputation d’un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne auquel le fait est imputé, lorsqu’elle est commise publiquement. L’article 33 de la même loi réprime l’injure, définie comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait, lorsqu’elle est proférée publiquement. L’article 222-13 du code pénal réprime les violences, y compris psychologiques, ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail lorsqu’elles sont commises dans certaines circonstances. L’article 222-33 du même code réprime notamment le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. L’article 222-33-2 réprime le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale. L’article 222-33-1-1 réprime le fait d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, ou qui crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante, lorsque ce fait est commis dans certaines circonstances. L’article 222-16 réprime notamment les envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques. L’article 226-1 réprime le fait, au moyen d’un procédé quelconque, de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’une personne en captant, fixant, enregistrant ou transmettant des paroles, des images ou la localisation de cette personne sans son consentement.

77. Si le législateur a prévu que le délit d’outrage en ligne ne peut s’appliquer dans les cas où les faits sont constitutifs des délits de menaces, d’atteintes sexuelles, de harcèlement moral et d’injures présentant un caractère discriminatoire, les dispositions contestées permettent ainsi de réprimer des comportements susceptibles d’entrer dans le champ des autres délits précités.

78. En second lieu, d’une part, en incriminant le simple fait de diffuser en ligne tout contenu transmis au moyen d’un service de plateforme en ligne, d’un service de réseaux sociaux en ligne ou d’un service de plateformes de partage de vidéo, au sens des dispositions auxquelles elles renvoient, les dispositions contestées n’exigent pas que le comportement outrageant soit caractérisé par des faits matériels imputables à la personne dont la responsabilité peut être engagée. D’autre part, en prévoyant que le délit est constitué dès lors que le contenu diffusé soit porte atteinte à la dignité de la personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante, les dispositions contestées font dépendre la caractérisation de l’infraction de l’appréciation d’éléments subjectifs tenant à la perception de la victime. Elles font ainsi peser une incertitude sur la licéité des comportements réprimés.

79. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées portent une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.

80.  Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, le quatrième alinéa de l’article 19 est contraire à la Constitution. Il en est de même, par voie de conséquence, du reste de cet article, qui en est inséparable.

– Sur certaines dispositions de l’article 23 :

81. Le paragraphe I de l’article 23 rétablit l’article L. 136 du code des postes et des communications électroniques afin d’instituer une réserve citoyenne du numérique. Le troisième alinéa de ce dernier article prévoit que ses membres, lorsqu’ils ont connaissance d’un délit ou qu’ils constatent un contenu illicite, en avisent sans délai le procureur de la République et lui transmettent tous les renseignements qui y sont relatifs.

82. Les députés auteurs de la seconde saisine reprochent à ces dispositions de charger des personnes qui ne sont pas dépositaires de l’autorité publique de dénoncer des actes illicites relevant d’un champ excessivement large. Il en résulterait selon eux une méconnaissance du « principe de sûreté » et du droit au respect de la vie privée.

83. La liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée.

84. Si le champ des délits et des contenus illicites visés par les dispositions contestées est étendu, ces dernières se bornent à prévoir que les membres de la réserve citoyenne du numérique doivent aviser le procureur de la République des faits dont ils ont connaissance dans l’exercice de leur mission et lui transmettent les informations qui y sont relatives. Elles n’ont ainsi ni pour objet ni pour effet de leur confier des prérogatives ou des moyens particuliers de collecte de données à caractère personnel, ni de déroger aux garanties prévues en la matière par le règlement du 27 avril 2016 mentionné ci-dessus et la loi du 6 janvier 1978 mentionnée ci-dessus.

85. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée doit être écarté.

86. Par conséquent, le troisième alinéa de l’article L. 136 du code des postes et des communications électroniques, qui ne méconnaît pas non plus la liberté individuelle ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.

– Sur certaines dispositions des articles 40 et 41 :

87. Le paragraphe I de l’article 40 prévoit notamment que, pour une durée de trois ans, peuvent être autorisés certains jeux en ligne faisant appel au hasard et permettant l’obtention, contre un sacrifice financier, d’objets numériques monétisables. L’article 41 prévoit les obligations applicables aux opérateurs qui proposent au public de telles offres de jeux ainsi que les pouvoirs de l’Autorité nationale des jeux en la matière.

88. Les députés auteurs de la seconde saisine reprochent à ces dispositions d’instituer un régime dérogatoire pour ces jeux alors qu’ils seraient similaires aux jeux d’argent et de hasard en ligne, régis par les articles L. 320-1 et L. 320-5 du code de la sécurité intérieure, et devraient selon eux être soumis au même régime afin notamment de protéger la santé et l’ordre public. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

89. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

90. L’article L. 320-1 du code de la sécurité intérieure pose le principe de l’interdiction des jeux d’argent et de hasard, sous réserve de ceux pouvant, par dérogation, être autorisés en application de l’article L. 320-6 du même code.

91. Selon le premier alinéa du paragraphe I de l’article 40 de la loi déférée, sont autorisés, à titre temporaire et sous certaines conditions, les jeux proposés par l’intermédiaire d’un service de communication au public en ligne qui permettent l’obtention, reposant sur un mécanisme faisant appel au hasard, par les joueurs majeurs ayant consenti un sacrifice financier, d’objets numériques monétisables, à l’exclusion de l’obtention de tout gain monétaire.

92. Les dispositions contestées précisent que ces objets numériques monétisables sont des éléments de jeu qui confèrent aux seuls joueurs un ou plusieurs droits associés au jeu et sont susceptibles d’être cédés, directement ou indirectement, à titre onéreux à des tiers.

93. Ces dispositions instaurent une différence de traitement entre les opérateurs de jeu selon que l’offre de jeu relève du régime institué pour les jeux à objets numériques monétisables ou de celui des jeux d’argent et de hasard.

94. Il ressort des travaux préparatoires que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu autoriser temporairement, en les encadrant, certains jeux vidéo intégrant la vente aux joueurs d’éléments de jeu dont l’obtention fait intervenir une part de hasard.

95. Si les jeux à objets numériques monétisables constituent une opération qui, comme les jeux d’argent et de hasard, exige un sacrifice financier des participants et repose sur un mécanisme faisant appel au hasard, ils s’en distinguent cependant par la spécificité du gain susceptible d’être obtenu qui n’est pas un gain monétaire direct mais prend la forme d’un élément même du jeu pouvant ensuite être cédé à titre onéreux à des tiers.

96. Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.

97. Par conséquent, le deuxième alinéa du paragraphe I de l’article 40 de la loi déférée ainsi que les mots « définie à l’article 40 » figurant au A du paragraphe I de l’article 41 de la même loi, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.

– Sur certaines dispositions de l’article 42 :

98. L’article 42 modifie le paragraphe I de l’article 36 de la loi du 25 octobre 2021 mentionnée ci-dessus afin d’élargir les prérogatives dont bénéficie le service de l’État mentionné à cet article pour collecter automatiquement certaines données auprès des opérateurs de plateforme.

99. Les députés auteurs de la seconde saisine soutiennent que, en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de préciser les modalités d’application de cette collecte, et en s’abstenant de la subordonner à l’accord des personnes concernées, le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence et privé de garanties légales le droit au respect de la vie privée.

100. La liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Par suite, la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.

101. En application de l’article 36 de la loi du 25 octobre 2021, un service de l’État désigné par décret en Conseil d’État peut apporter son expertise et son appui aux autorités administratives indépendantes et aux autorités publiques indépendantes qui interviennent dans la régulation des opérateurs de plateforme en ligne. Dans ce cadre, ce service est doté de prérogatives lui permettant de procéder à des opérations de collecte automatisée de données accessibles sur ces plateformes.

102. Les dispositions contestées de l’article 42 complètent ces dispositions pour préciser, d’une part, que la finalité relative aux activités de recherche publique que peut conduire ce service de l’État inclut, notamment, les recherches contribuant à la détection, à la détermination et à la compréhension des risques systémiques liés aux activités des fournisseurs de très grandes plateformes en ligne et moteurs de recherche dans l’Union européenne. D’autre part, elles prévoient que des opérations de collecte automatisée de données peuvent être mises en œuvre non plus seulement dans le cadre des activités d’expérimentation de ce service, mais aussi, désormais, dans le cadre de ses activités de recherche publique. Par ailleurs, elles prévoient que ces opérations de collecte peuvent être réalisées auprès tant des opérateurs de plateforme en ligne que des partenaires de ces plateformes et de leurs sous-traitants, des fournisseurs de systèmes d’exploitation permettant le fonctionnement des éventuelles applications de ces opérateurs et des fournisseurs de systèmes d’intelligence artificielle.

103. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu renforcer les moyens des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes qui interviennent dans la régulation des opérateurs de plateforme en ligne. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général.

104. En deuxième lieu, les opérations de collecte ne sont autorisées que pour des finalités limitativement énumérées tenant à l’expérimentation d’outils techniques en relation avec la régulation des opérateurs de plateforme en ligne et à la recherche publique.

105. En troisième lieu, les méthodes de collecte automatisée ne peuvent porter que sur des données publiquement accessibles, dans le respect des droits des bénéficiaires du service concerné.

106. En quatrième lieu, d’une part, ce service ne peut mettre en œuvre que des méthodes de collecte strictement nécessaires et proportionnées. À cet égard, le législateur a pu, sans méconnaître l’étendue de sa compétence, renvoyer le soin de préciser ces méthodes à un décret en Conseil d’État pris après avis public motivé de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

107. D’autre part, le cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 36 de la loi du 25 octobre 2021 prévoit que, dans le cadre de ses activités d’expérimentation visant à développer des outils techniques pour la régulation des opérateurs de plateforme, le service de l’État n’utilise aucun système de reconnaissance faciale des contenus. Sauf à méconnaître le droit au respect de la vie privée des utilisateurs des plateformes, les dispositions du septième alinéa du paragraphe I de ce même article, dans sa rédaction résultant de l’article 42 de la loi déférée, doivent également s’entendre comme excluant le recours à un tel système de reconnaissance faciale dans le cadre des activités de recherche publique de ce service.

108. En cinquième lieu, les données collectées dans le cadre des activités d’expérimentation sont détruites à l’issue des travaux, et au plus tard neuf mois après leur collecte, et celles collectées dans le cadre des activités de recherche publique sont détruites à l’issue des travaux, et au plus tard cinq ans après leur collecte.

109. En dernier lieu, si les données recueillies par le service de l’État peuvent faire l’objet de traitements automatisés de données à caractère personnel, le législateur n’a pas entendu déroger aux garanties apportées par le règlement du 27 avril 2016 et la loi du 6 janvier 1978, relatives notamment aux pouvoirs de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui s’appliquent aux traitements en cause. Par suite, il appartient aux autorités compétentes, dans le respect de ces garanties et sous le contrôle de la juridiction compétente, de s’assurer que la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation, la communication, la contestation et la rectification des données de ce traitement seront mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à l’objectif poursuivi.

110. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 107, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.

111. Par conséquent, les mots « notamment à des fins de recherches contribuant à la détection, à la détermination et à la compréhension des risques systémiques dans l’Union, au sens du paragraphe 1 de l’article 34 du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques) » figurant à la première phrase du sixième alinéa du paragraphe I de l’article 36 de la loi du 25 octobre 2021 ainsi que, sous la réserve énoncée au paragraphe 107, le septième alinéa du paragraphe I de l’article 36 de la loi du 25 octobre 2021, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.

– Sur d’autres dispositions :

. En ce qui concerne la place de certaines dispositions dans la loi déférée :

112. L’article 11 prévoit la mise en place d’un service agrégeant, en vue de simplifier les démarches administratives, l’accès à l’ensemble des services publics, notamment au moyen de l’identité numérique régalienne, développée par le ministère de l’intérieur.

113. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles, précitées, de l’article 6 du projet de loi initial.

114. L’article 18 prévoit, à titre expérimental, la mise en place de dispositifs conventionnels de médiation de certains litiges de communication en ligne.

115. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles, précitées, de l’article 1er du projet de loi initial, qui visaient à confier à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique la mission d’élaborer un référentiel pour les systèmes de vérification de l’âge en vue de l’accès à des contenus pornographiques, ni avec celles de son article 24, relatives à l’intervention de l’autorité judiciaire pour faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.

116. L’article 58 modifie le deuxième alinéa de l’article L. 311-8 du code des relations entre le public et l’administration afin de prévoir la saisine du comité du secret statistique lorsque l’administration envisage de refuser de faire droit à certaines demandes de consultation de documents administratifs.

117. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles de l’article 10 du projet de loi initial, qui renvoyaient à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse le soin de préciser les règles et modalités de mise en œuvre de certaines obligations faites aux fournisseurs de services d’informatique en nuage, ni avec celles de son article 16, qui élargissaient les prérogatives des services de l’État pour collecter automatiquement certaines données auprès des opérateurs de plateforme.

118. Ces dispositions ne présentent pas non plus de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat.

119. Sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires.

. En ce qui concerne certaines dispositions de l’article 64 :

120. Le paragraphe I de l’article 64 est relatif à l’entrée en vigueur de l’article 2.

121. Le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions garanti par l’article 8 de la Déclaration de 1789 fait obstacle à l’application rétroactive de dispositions permettant d’infliger des sanctions ayant le caractère d’une punition.

122. La première phrase du paragraphe I de l’article 64 de la loi déférée prévoit que son article 2 entre en vigueur le 1er janvier 2024.

123. Or, les paragraphes II et VI de l’article 10-1 de la loi du 21 juin 2004, dans sa rédaction issue de l’article 2 de la loi déférée, permettent à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique de prononcer des sanctions pécuniaires à l’encontre des personnes dont l’activité est de fournir un service de communication au public en ligne ou un service de plateforme de partage de vidéos, lorsqu’elles ne se conforment pas à une mise en demeure de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs à des contenus pornographiques, ainsi qu’à l’encontre des fournisseurs d’accès à internet, des fournisseurs de systèmes de résolution des noms de domaine, des moteurs de recherche et des annuaires, lorsque ces derniers manquent à leur obligation de mettre en œuvre les mesures de blocage et de déréférencement prononcées par cette autorité.

124. Ces sanctions ayant le caractère d’une punition, elles ne sauraient être prononcées à raison d’agissements antérieurs à l’entrée en vigueur des dispositions nouvelles.

125. Sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, la première phrase du paragraphe I de l’article 64, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.

– Sur les autres dispositions :

126. Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune autre question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. – Sont contraires à la Constitution les articles 10, 11, 18, 19 et 58 de la loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique.

Article 2. – Sous les réserves énoncées ci-dessous, sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes :

sous la réserve énoncée au paragraphe 107, le septième alinéa du paragraphe I de l’article 36 de la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, dans sa rédaction résultant de l’article 42 de la loi déférée ;

sous la réserve énoncée au paragraphe 124, la première phrase du paragraphe I de l’article 64 de la loi déférée.

Article 3. – Sont conformes à la Constitution :

le deuxième alinéa du paragraphe I de l’article 10 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dans sa rédaction résultant de l’article 1er de la loi déférée ;

le dernier alinéa du paragraphe III et le premier alinéa du paragraphe V de l’article 10-1 de la loi du 21 juin 2004, dans sa rédaction issue de l’article 2 de la loi déférée ;

les paragraphes I et II de l’article 6-2-2 de la loi du 21 juin 2004, dans sa rédaction issue de l’article 4 de la loi déférée ;

les A et B du paragraphe III de l’article 5 de la loi déférée ;

les trois derniers alinéas de l’article 312-10 du code pénal, dans sa rédaction résultant de l’article 17 de la loi déférée ;

le troisième alinéa de l’article L. 136 du code des postes et des communications électroniques, dans sa rédaction résultant de l’article 23 de la loi déférée ;

le deuxième alinéa du paragraphe I de l’article 40 de la loi déférée ainsi que les mots « définie à l’article 40 » figurant au A du paragraphe I de l’article 41 de la même loi ;

les mots « notamment à des fins de recherches contribuant à la détection, à la détermination et à la compréhension des risques systémiques dans l’Union, au sens du paragraphe 1 de l’article 34 du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques) » figurant à la première phrase du sixième alinéa du paragraphe I de l’article 36 de la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, dans sa rédaction résultant de l’article 42 de la loi déférée.

Article 4. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 mai 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Rendu public le 17 mai 2024.

(JORF n°0117 du 22 mai 2024)

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